Avion de chasse israélien abattu par un missile syrien, un changement majeur des rapports de force au Moyen-Orient


Israël, comme à son habitude depuis plusieurs mois, a mené un raid sur des installations "iraniennes" en Syrie. Un missile syrien a abattu l’un des avions de chasse israéliens. L’aviation militaire de l’État hébreu n’est désormais plus invulnérable. C’est un changement majeur des rapports de force au Moyen-Orient.

Le 10 février au matin, l’aviation israélienne a mené un raid en Syrie, alléguant un drone iranien qui aurait décollé du territoire syrien et violé l’espace aérien israélien – allégation jugée "ridicule" par l'Iran.

L’armée syrienne, qui avait promis lors des raids précédents de "répondre en temps voulu" sans jamais le faire, a tiré plusieurs missiles sol-air en direction des F-16, a réussi à en toucher plusieurs et en abattre un. Israël a immédiatement accusé l’Iran d’avoir fabriqué et fourni ces missiles à la Syrie alors que la chaîne panarabe d’info en continu, Al-Mayadeen, a affirmé que l’avion de chasse israélien a été abattu par un Sam 5 de fabrication russe.

Source : The Independent


Les sirènes d’alarme ont retenti dans le Golan syrien, occupé par Israël depuis 1967 puis unilatéralement annexé en 1981, et dans les villes et villages à la frontière israélo-libanaise. En représailles, Israël a ensuite attaqué douze cibles "iraniennes" en Syrie que son commandement militaire déclare avoir détruites.

Cette escalade sans précédent depuis le début de la guerre en Syrie a fait craindre un embrasement général de la région. La Russie, à travers son ministère des Affaires étrangères, a appelé à la "retenue" mais prévenu qu’elle ne tolèrerait aucune menace contre ses troupes stationnées en Syrie.

Au Liban, où ont atterri des morceaux de missiles Sam, sans doute tirés par l'armée syrienne contre les F-16 israéliens, l’inquiétude est grande. Pendant des mois, l’aviation israélienne a violé l’espace aérien libanais pour bombarder la Syrie et des ministres du gouvernement Netanyahu ont à plusieurs reprises menacé de ramener le Liban "à l’âge de pierre" en cas de guerre.

Source : Washington Post


Pourquoi une telle escalade et en quoi le F-16 abattu change la donne?

Accusé de corruption par les chefs de la police israélienne, isolé sur la scène internationale depuis que Donald Trump a reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël, et de plus en plus impopulaire auprès de sa propre population, Benyamin Netanyahu a besoin d’une guerre. Seule une guerre pourrait reculer l’échéance de son inculpation pour corruption, seule une guerre pourrait attirer à nouveau la sympathie et le soutien de la communauté internationale, seule une guerre pourrait faire taire la contestation intérieure et unir les Israéliens autour de leur gouvernement.

L’état-major de l’armée israélienne serait, quant à lui, opposé à tout nouveau conflit. Depuis la guerre contre le Liban en 2006, le commandement de Tsahal a compris que, bien qu’il possède toujours l’armée la plus puissante et la mieux équipée du Moyen-Orient, il est dans l’incapacité de gagner une guerre éclair, la seule qu’Israël puisse se permettre.

Il a également compris que toute nouvelle guerre serait extrêmement coûteuse pour l’État hébreu. Le Hezbollah possèderait des dizaines de milliers de missiles capables d’atteindre n’importe quelle cible militaire et civile israélienne, et les combattants de la formation chiite libanaise, qui avaient prouvé en 2006 leur supériorité au combat sur le terrain, sont aujourd’hui plus aguerris par l’expérience qu’ils ont acquise en Syrie. Il en va de même pour l’armée syrienne que sept ans d’une guerre implacable ont formée à la guérilla urbaine.

Parade militaire du Hezbollah à Qussayr en Syrie


En 2006, le Hezbollah a également prouvé qu’il avait les armes nécessaires pour détruire des navires militaires israéliens. Il est fort à parier que de telles armes sont encore en sa possession, en nombre beaucoup plus élevés.

Après avoir perdu son incontestable supériorité sur terre et sur mer, l’armée israélienne vient de réaliser, après qu’un missile syrien a abattu l’un de ses F-16, que l’invulnérabilité de son aviation fait partie du passé.

Par ailleurs, à part les États-Unis dont la politique improbable a enterré l’accord de paix israélo-palestinien, l’Arabie Saoudite qui ne sait plus quoi faire pour contrer l’influence grandissante de l’Iran, et les rares pays qui ont reconnus Jérusalem comme capitale d’Israël, la communauté internationale ne veut absolument pas entendre parler d’une guerre qui embraserait la région.

Les pays européens, traditionnellement alliés d’Israël et des États-Unis, ont peur qu’un conflit généralisé, ou même limité au seul Liban, ne pousse les réfugiés syriens qui s’y trouvent à prendre le chemin de l’Europe. Et la Russie, comme l’a écrit le quotidien israélien d’opposition Haaretz, pourrait se voir obligée par les attaques répétées d’Israël en Syrie – que Vladimir Poutine considère comme sa chasse gardée – à adopter une position pro-iranienne.

Au soir d’une longue et inquiétante journée où a rodé le spectre d’une guerre régionale, l’État hébreu dit chercher l’apaisement. Mais on peut craindre que Netanyahu et son gouvernement d’extrême droite ne se lancent dans une aventure guerrière dont les conséquences pour Israël seraient pour le moins désastreuses.


© Claude El Khal, 2018