Débat Macron-Le Pen, analyse d’un fiasco


Il ne faut pas se leurrer, le débat qui a opposé hier soir Emmanuel Macron à Marine Le Pen n’allait pas changer grand-chose aux intentions de vote des inconditionnels de l’un et de l’autre. Mais il était la seule vraie opportunité du candidat d’En Marche! pour convaincre les indécis et souligner sa stature présidentielle. Cependant, ce n’est pas ce qui s’est passé. Pourquoi?

Marine Le Pen a démontré depuis son élection à la tête du Front National qu’elle est une femme intelligente et pragmatique. Elle ne peut donc pas croire qu’en l’état actuel des choses, elle a la moindre chance de l’emporter le 7 mai face au favori de l’élection présidentielle. L’écart des intentions de vote entre les deux finalistes est trop important, à quelques jours du scrutin, pour croire à une quelconque victoire.

Le débat qui allait l’opposer à Emmanuel Macron n’était donc pas pour elle une opportunité de gagner quelques voix supplémentaires, ce qui n’aurait servi à rien, mais l’occasion rêvée de décrédibiliser à tout prix son adversaire aux yeux des Français qui hésitent encore à voter pour lui, quitte à se saborder en apparence et y laisser quelques plumes. Cette stratégie du chaos vise à décourager les indécis d'aller voter, afin d'assurer un score personnel supérieur à 40% des scrutins exprimés et être en position de force pour les législatives.

Dans les premières minutes du débat, cette stratégie semblait battre de l'aile. Mais petit à petit, elle s'est imposée face à celle, maladroite, de son adversaire.

Malgré un début prometteur pour le candidat d’En Marche! – la partie économique du débat a clairement montré que Marine Le Pen n’y connaissait pas grand-chose et confondait les dossiers alors que lui était sur ses terres –, il a rapidement perdu de son assurance et s’est laissé entraîner dans un catch verbal, digne d’une discussion politique de bistrot. Ce qui a rendu le débat inaudible et désagréable à regarder. La stratégie du chaos avait fonctionné.

Pourtant, il aurait été relativement simple pour Emmanuel Macron de la mettre en échec et de dominer puis de défaire sa rivale. Il suffisait de refuser, dès le départ, de se laisser entraîner sur le terrain de l’invective et de prendre une hauteur présidentielle qui aurait désarçonné Marine Le Pen. Surtout que les intentions agressives de la candidate frontiste étaient connues d’avance et faisaient l’objet de nombreux commentaires avant le débat.

De plus, le tirage au sort, également connu d’avance, favorisait cette stratégie de la hauteur qu'aurait dû adopter l'ancien ministre de l'Economie : Marine Le Pen devait commencer et lui, conclure.

La candidate frontiste allait donc, comme prévu, démarrer par une attaque en règle. A quoi Emmanuel Macron aurait pu répondre : "Madame Le Pen, les enjeux auxquels la France et les Français font face aujourd’hui sont beaucoup trop importants, beaucoup trop graves, pour nous noyer dans l’invective. Je ne vais donc pas répondre à vos attaques, aussi répétées, aussi agressives et mensongères soient-elles. J’ai mis en place un site de vérification des faits – fact checking – qui se chargera de répondre en direct à vos mensonges et que les citoyens peuvent consulter s’ils le souhaitent. Ce soir je suis là pour présenter mon projet pour la France. Pour que les Françaises et les Français puissent choisir, le 7 mai prochain, celui qui est véritablement à même d’incarner la fonction de président de la République".

Ce faisant, il aurait, sans l’insulter, diminué sa rivale, montré qu'il respectait ses concitoyens et acquis une stature présidentielle qui lui manque encore au yeux de très nombreux électeurs.

Evidemment, Marine Le Pen aurait contre-attaqué en l’accusant de vouloir lâchement se dérober. Mais, sans sourciller, il aurait continué à répondre aux journalistes et à présenter les détails de son programme comme si elle n’était pas là. Se voyant ignorée, se sentant méprisée, elle aurait intensifié ses attaques, avec pour résultat l’image d’une candidate vociférante face à un homme calme et responsable.

Pour y remédier, Marine le Pen aurait été obligée de changer de stratégie en cours de débat, avec les impondérables que cela implique, et être forcée à improviser et à parler elle aussi de son programme, que l’on sait flou et approximatif.

En conclusion, Emmanuel Macron aurait pu fermer le débat par les mots suivants : "Je crois que ce débat a clairement montré la personnalité de madame Le Pen et démontré son inaptitude à diriger la France. Quant à moi, j’ai pleine confiance en mes compatriotes pour savoir qui de nous deux est le plus à même d’incarner la fonction de président de la République pour les cinq années à venir et apporter des solutions concrètes pour résoudre les nombreux problèmes auxquels font face la France et les Français".

Marine Le Pen aurait vivement objecté à cette attaque finale à laquelle elle n’a plus le temps de répondre. L’image de fin aurait été celle d’une candidate agitée face à un homme serein.

Au lieu de ça, Emmanuel Macron a dès le début joué le jeu imposé par la candidate du Front National, et s’est rapidement enlisé dans les marécages des attaques réciproques contre-productives qui ont agacé puis lassé la majorité des téléspectateurs, et a donné une bien piètre image de lui-même. Au final, la stratégie lepéniste du chaos et de décrédibilisation du favori de l’élection présidentielle a assez bien réussi.

Difficile d'imaginer l'homme qui s'est débattu hier soir devant plus de 16 millions de personnes, et qui, de la salive séchée sur les lèvres, peinait à garder son calme face à une rivale agressive, négocier d'égal à égal avec des Poutine, des Trump, des Erdogan ou des Merkel.

Cette grave erreur de communication, qui va sans doute coûter, parmi les indécis, de nombreuses voix potentielles à Emmanuel Macron, n’a pas été la seule de l'entre-deux-tour.

La stratégie de la posture morale adoptée dès la fin du premier tour – c’est moi ou le fascisme, qui revient à implicitement accuser de complaisance, voire de complicités fascistes tout Français qui refuse de voter pour lui – a été une erreur de taille. Elle n’a fait que cabrer nombre d’électeurs de François Fillon et de Jean-Luc Mélenchon. Surtout après avoir découvert que le slogan En Marche! La France, choisi pour ses initiales identiques à celles du candidat : EM, fut jadis utilisé par le gouvernement de Vichy. Ce que ne pouvaient ignorer les nombreux communicants qui entourent Emmanuel Macron.

Ces erreurs impardonnables de communication sont difficiles à comprendre de la part d’un candidat qui a fait du marketing politique la pierre angulaire de sa campagne. Erreurs qui peuvent, par l’importante abstention qu’elles risquent de provoquer, fragiliser la légitimité de celui qui devrait théoriquement être élu, le 7 mai, président de la République.


© Claude El Khal, 2017