Notre part de responsabilité dans les propos d’Elie Marouni sur le viol


Depuis sa déclaration sur l’éventuelle responsabilité d’une femme dans le viol dont elle est victime, Elie Marouni a été crucifié sur les réseaux sociaux. Mais qu’en est-il dans la vraie vie ? Est-il le seul coupable d’un tel outrage à la décence la plus élémentaire et aux droits des femmes au Liban ?

"Dans certaines circonstances, quel est le rôle de la femme dans le fait de pousser l'homme à la violer" avait déclaré le député Elie Marouni lors d’une conférence organisée par le Rassemblement démocratique de la femme libanaise (RDFL) pour débattre de la proposition de loi visant à abolir l’article 522 du code pénal – qui stipule que le jugement prononcé contre l'auteur d'un viol est suspendu s'il épouse sa victime.

Nous avons vu la militante féministe Hayat Mirshad lui répondre vertement, mais presque tout le monde a fait semblant de ne pas voir que la majorité des femmes présentes l’ont applaudi. Pour ensuite accourir se faire photographier avec lui.


Combien d’entre nous, hommes et femmes, connaissaient l’existence de l’article 522 ? Combien savaient qu’il existait mais s’en foutaient complètement ? Combien se sont mobilisés, au moins une fois, contre la violence domestique, par exemple ? Combien de Libanaises défendent véritablement leurs droits ? Combien sont-elles à descendre dans la rue quand l’une d’elles meurt sous les coups de son conjoint ?

A titre comparatif, voici des photos de manifestations dénonçant la violence domestique. La différence avec les rassemblements de soutien aux divers mouvements politiques est choquante. Ces mêmes mouvements politiques qui n’offrent aux femmes que des rôles de potiches. Le Liban n’a qu’une seule femme au gouvernement. Quant au parlement, certaines se sont faites si discrètes depuis les dernières élections législatives qu’on oublie qu’elles ont été élues députés ; alors que d’autres, le son même de leur voix reste un mystère national.

Manifestation pour demander justice au nom des victimes de violences domestiques
- Juillet 2015 -
Manifestation contre la violence domestique
- Mars 2014 -
Rassemblement de soutien à la coalition du 14 Mars
- Mars 2011 -
Rassemblement de soutien au Courant patriotique libre (CPL)
- Septembre 2015 -

Dans une chronique publiée en 2011, qui m’avait d’ailleurs valu un torrent d'injures, j’avais écrit: "Les Libanaises, on les voit foncer sur les routes, se frayant un chemin à coups de pare-chocs et de klaxons. On les voit sur les plateaux télés, défendre le verbe haut un régime alimentaire qui leur est cher. On les voit dans les bureaux, les supermarchés, les usines, les champs, véritables moteurs de l’économie nationale. On les voit dans les restaurants, les bars, les clubs. On les voit dans les écoles, les universités. On les voit se lancer à l’assaut du pavé, le drapeau à bout de bras, d’orange ou de bleu enfoulardées, à se pâmer devant le caïd de l’heure.

Pourtant, quand il s’agit de défendre leurs droits les plus fondamentaux, il n’y a plus personne. Ou presque. Rares, trop rares, sont celles qui se démènent pour que la République reconnaisse qu’elles sont des citoyennes à part entière (…) Il y a bien une pétition qui circule. Mais signer des pétitions, ça ne suffit pas. On sait tous et depuis longtemps que ça ne sert pas à grand-chose."

Il y a un peu plus d’un an, avant que la crise des poubelles n’envahisse nos rues et nos esprits, j’avais contacté plusieurs militantes de la société civile afin d’élaborer ensemble un plan d’action pour tenter d'abolir les statuts personnels religieux qui régissent, entre autres, les affaires matrimoniales des Libanais et autorisent le viol conjugal.

A part deux femmes qui ont promis de m’aider mais sans s’y investir personnellement – pour des raisons qui leur sont propres et que je respecte – les autres sont restées tout simplement aux abonnées absentes. L’une de celles qui m’ont opposé une fin de non-recevoir s’est plus tard présentée aux élections municipales, se vantant d’être à l’avant-garde du combat féministe !

Est-il encore utile de le répéter : la société libanaise est superficielle et se nourri d’artifices. Tout, ou presque, est virtuel. Rien n’est vraiment réel. Nous vivons dans un monde de faux-semblants, dans une réalité en trompe-l’œil.

On hurle contre la corruption des élites, mais on s’arrange avec nos corruptions quotidiennes. Combien de ceux qui ont battu le pavé pour dénoncer "la classe politique corrompue", n’hésitent jamais à gonfler une facture si leur client l'exigeait – pour qu’il puisse arnaquer son client à lui ? Combien savent-ils que cette pratique est courante mais choisissent de fermer les yeux ou de regarder de l’autre côté ?

Quant aux femmes, la plupart d'entre elles ne préfère-t-elle pas plutôt émuler Haifa Wehbé que Nadia Tueni ?

Les femmes sont majoritaires au Liban et ont le droit de vote. Donc selon le régime parlementaire en vigueur, elles ont le pouvoir de diriger la République. Ou, au moins, faire toujours pencher la balance de leur côté. Pourtant elles ne le font pas. Pourquoi ?

Dans une autre chronique, également datée de 2011, j’affirmais que "l’époque est à l’opportunisme de la gent féminine libanaise. Pas un opportunisme guidé par un féroce et légitime besoin d’être l’égale de l’homme. Mais celui, nauséabond, d’être son meilleur investissement. Femme-objet de luxe, qui développe sa petite entreprise personnelle : son corps, désormais coté en bourse. Une époque où la seule question qu’un homme doit poser quand il va demander une fille en mariage est : c’est combien ?"

Le rôle des femmes dans la publicité, reflet cruel de notre société, ne dément guère cette opinion. "Mon Bijou, Mon Droit" disait celle d’un joaillier local, montrant une femme désespérée, presque suicidaire, tant qu’elle n’a pas reçu son diamant. Dans une publicité pour une banque, un jeune homme venant demander la main de son amoureuse à ses parents se fait rabrouer parce qu’il n’est pas propriétaire d’une maison – et ce sous l’œil approbateur de ladite amoureuse.

On pourrait penser que cette publicité offrant une bien piètre image des jeunes Libanaises est le fruit d’une bande de machos poilus et ricaneurs, mais en réalité elle a été approuvée par des femmes dont dépendait la décision finale quant à sa production et sa diffusion.

Que faire pour changer cette triste et lamentable réalité ? Pour que des Elie Marouni y réfléchissent à deux fois avant de faire des déclarations inacceptables ? Pour que des publicités pareilles n'existent plus ? Pour que la femme libanaise soit en tous points l’égale de l’homme ?

Il faut que les Libanaises se réveillent du long sommeil de courtisane dans lequel elles sont plongées depuis tant d’années. Qu’elles arrêtent d’êtres des filles qui passent de la maison de leur père à celle de leur mari, et deviennent enfin des citoyennes.

Femmes libanaises, vous êtes les plus nombreuses, vos droits sont entre vos mains. Il vous faut descendre dans la rue, et y rester jusqu'à ce que des lois soient votées. Il faut faire la grève, ne plus aller au boulot, paralyser le bon fonctionnement de cette société archaïque. Il faut obliger vos maris, vos fiancés, vos amants, vos amis à faire pareil. Et s’ils refusent, quittez-les, ils ne vous méritent pas.

Il faut aller voir les députés des deux camps et leur faire comprendre que s'ils ne font rien, ils n'auront aucune voix féminine aux prochaines élections. Et que vous allez tout faire pour obliger les hommes à vous imiter. Même la grève du sexe. Voilà comment on change les choses.


© Claude El Khal, 2016